Riposte Internationale, 22 octobre 2025
I. Emballement institutionnel et enjeux d’État de droit
Le 20 octobre 2025, Mustapha Smati, président de la cour de Béjaïa, a déclaré que l’Algérie « va
bientôt rétablir » la peine de mort pour des crimes jugés « extrêmement dangereux » notamment
l’enlèvement d’enfants et le trafic de stupéfiants en milieu scolaire en invoquant un engagement
supposé du président Abdelmadjid Tebboune lors de l’ouverture de l’année judiciaire, le 12 octobre.
Reprise en boucle par les médias, l’annonce a suscité une onde de choc sans être, à ce stade,
confirmée par la Présidence ni par le ministère de la Justice. Plusieurs titres de presse algériens ont
depuis atténué la portée des propos : El Khabar parle d’une « orientation » à l’étude, non d’une
décision exécutoire.
Or, dans un État de droit, la fixation et a fortiori la publicisation d’une option pénale de cette gravité
relève d’autorités politiques identifiées (Présidence, Gouvernement, Garde des Sceaux) et obéit à
des procédures formalisées. Qu’un président de cour régionale s’exprime seul « au nom de l’État »,
sans texte ni relais institutionnel (Cour suprême, ministère), brouille la chaîne de responsabilité,
fragilise la hiérarchie administrative et crée un précédent préoccupant. L’enjeu n’est pas seulement
protocolaire : il touche à la sécurité juridique interne et à la crédibilité internationale du pays. D’où
l’incertitude mise en évidence par les analyses publiées dans les 48 dernières heures, qui
s’interrogent sur la valeur normative réelle des déclarations de M. Smati et sur le risque d’un
emballement communicationnel se substituant au processus décisionnel régulier.
II. Droit positif, efficacité réelle et cadre international
En droit positif, la peine capitale demeure inscrite dans l’arsenal algérien : l’article 5 du Code pénal
la range parmi les peines criminelles et plusieurs incriminations la prévoient (trahison, meurtres
aggravés, terrorisme, incendies mortels, etc.), l’enlèvement de mineur suivi du décès relevant par
renvoi du régime du meurtre aggravé. Dans les faits, toutefois, aucune exécution n’a eu lieu depuis
1993 et l’Algérie est classée « abolitionniste en pratique ». Les chiffres récents confirment cette
trajectoire prudente : en 2024, les juridictions ont prononcé huit condamnations à mort (contre au
moins 38 en 2023), selon le rapport mondial d’Amnesty. Sur le plan constitutionnel, la révision du
1er novembre 2020 consacre le droit à la vie « nul ne peut en être privé que dans les cas prévus par
la loi » formule qui protège le principe sans exclure la peine capitale, désormais cantonnée à un cadre légal résiduel. Dans ce contexte, l’émotion suscitée par des crimes atroces, comme
l’enlèvement et l’assassinat du petit Abderrahmane à Chlef début octobre, alimente des appels à la
fermeté ; mais gouverner sous le coup de l’indignation expose à des réformes symboliques et
inefficaces. La politique pénale ne gagne ni en crédibilité ni en efficacité lorsqu’elle cède à
l’instant : elle suppose au contraire la constance des règles, la transparence des procédures et l’évaluation des résultats, loin des emballements suscités par les faits divers, aussi tragiques soient-
ils.
Contrairement à une idée reçue, la recherche empirique ne démontre pas d’effet dissuasif spécifique
de la peine de mort sur les homicides ou les crimes graves : la synthèse de référence du National
Research Council (2012) juge la littérature « non probante » et impropre à orienter une politique
pénale. Autrement dit, la menace d’exécution n’a pas montré qu’elle réduisait mieux le crime que
des peines longues et certaines. S’y ajoute un enjeu éthique et juridique majeur : l’irréversibilité.
Depuis 1973, 200 personnes condamnées à mort ont été exonérées aux États-Unis, après réexamen
de leurs dossiers et annulation des charges qui les avaient envoyées dans le couloir de la mort. Cette
réalité, régulièrement actualisée, ne constitue pas une anomalie statistique mais le révélateur d’un
risque systémique d’erreur inhérent à toute justice humaine, fût-elle dotée de garanties procédurales
avancées. En somme, la peine capitale n’apporte pas la preuve de sa supériorité dissuasive et
expose, par nature, à l’injustice irréparable. Si l’on se fie aux indicateurs disponibles, la sévérité
pénale en Algérie est déjà élevée sans produire d’effet manifeste sur la sécurité publique. Selon le
World Prison Brief, on dénombrait 94 749 personnes détenues en septembre 2021, soit
217prisonniers pour 100 000 habitants un niveau haut à l’échelle régionale. Or l’expérience
comparée est constante : l’« inflation carcérale » ne se traduit pas, à elle seule, par une baisse
mécanique de la criminalité. Ce qui compte, ce n’est pas tant la dureté affichée des peines que leur
certitude et leur exécution effective, qualité des enquêtes, solidité de la preuve, célérité des
poursuites, suivi de l’exécution des peines , couplées à des politiques préventives ciblées (protection
de l’enfance, prévention en milieu scolaire, prise en charge des auteurs à risque). Autrement dit,
sans chaîne pénale fiable et sans prévention structurée, accroître la sévérité relève surtout de
l’affichage : cela pèse sur les prisons, sans garantir un gain réel de sécurité.
III. Cadre international et conséquences diplomatiques
Réponse internationale
Sur la scène internationale, la trajectoire est sans ambiguïté : en décembre 2024, l’Assemblée
générale des Nations unies a adopté pour la dixième fois une résolution appelant à un moratoire
universel sur les exécutions, soutenue par 130 États, soit plus des deux tiers de l’ONU, un niveau de
ralliement inédit. S’orienter vers une reprise des exécutions placerait donc l’Algérie à rebours d’un
mouvement mondial qui se consolide, y compris sur le continent africain où des avancées notables
notamment au Zimbabwe et en Zambie, témoignent d’une dynamique abolitionniste croissante. Au-
delà du symbole, l’enjeu est diplomatique et juridique : persister dans une logique de peine capitale
exposerait le pays à des frictions avec ses partenaires multilatéraux, compliquerait la mise en œuvre
de ses engagements en matière de droits humains et affaiblirait son alignement avec les standards
régionaux et internationaux en cours d’enracinement.
Ce que prévoit le droit algérien
En droit positif algérien, la peine capitale demeure inscrite dans l’arsenal répressif et vise les
crimes de droit commun les plus graves, notamment l’assassinat avec circonstances aggravantes,
l’empoisonnement et les incendies ayant entraîné la mort, ainsi que certaines infractions d’ordre
sécuritaire, au premier rang desquelles le terrorisme ; l’enlèvement de mineur suivi du décès de la
victime expose, par renvoi, aux peines prévues pour le meurtre aggravé. Sur le terrain procédural et
pénitentiaire, les personnes condamnées à mort relèvent d’un régime de détention dérogatoire, plus
strict, tandis que la grâce présidentielle constitue la principale voie de commutation ; son régime
demeure toutefois peu transparent, le rejet de la grâce n’étant, selon le Code de l’organisation
pénitentiaire, notifié qu’au moment où l’exécution doit intervenir. En pratique, l’Algérie observe
depuis 1993 un moratoire non formalisé sur les exécutions : des commutations et mesures de grâce
sont venues ponctuellement réduire le nombre de condamnés à mort, si bien que le pays est classé
« abolitionniste en pratique ». Cet écart entre la lettre des textes et la réalité de leur application
nourrit un double enjeu : de sécurité juridique interne, s’agissant d’une peine irréversible et de
crédibilité internationale, dans un contexte où les standards contemporains tendent à restreindre
toujours davantage son champ d’application.
Drogues et « crimes les plus graves » : le droit international s’applique
En droit international des droits humains, la peine de mort ne peut viser que les « crimes les plus
graves », entendus de manière stricte comme des homicides intentionnels. Cette interprétation,
consacrée par l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les Sauvegardes
de l’ECOSOC (1984) et la jurisprudence interprétative du Comité des droits de l’homme
(Observation générale n°36), exclut clairement les infractions liées aux stupéfiants : ni la
production, ni le trafic, ni la détention, même à grande échelle, n’atteignent ce seuil. En
conséquence, l’application de la peine capitale à des crimes de drogue contrevient aux standards
internationaux contemporains. Les données 2024 compilées par les organisations spécialisées
confirment, par ailleurs, que plusieurs États continuent de procéder à un nombre élevé d’exécutions
pour infractions aux stupéfiants, sans démonstration d’un effet dissuasif spécifique, indice d’une
dérive punitive qui sacrifie l’efficacité et la proportionnalité au profit de l’affichage répressif.
Bibliographie :
Rapports, ouvrages et bases spécialisées
-Amnesty International. 2025. Death Sentences and Executions 2024. Londres : Amnesty
International. https://www.amnesty.org/en/documents/act50/8976/2025/en/ (PDF : https://
www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2025/05/ACT5089762025ENGLISH.pdf). Consulté le 22
oct. 2025. Amnesty International+1
-ECPM (Ensemble contre la peine de mort). 2022. La peine de mort en droit et en pratique –
Algérie (flyer). Paris : ECPM. https://www.ecpm.org/app/uploads/2022/10/flyer-ALGERIE-090822-
MD2.pdf. Consulté le 22 oct. 2025. ECPM
-National Research Council. 2012. Deterrence and the Death Penalty. Washington (DC) : National
Academies Press. https://nap.nationalacademies.org/catalog/13363/deterrence-and-the-death-
penalty (DOI : 10.17226/13363). Consulté le 22 oct. 2025. Press des Académies Nationales
-World Prison Brief (ICPR). s.d. « Algeria – Country profile ». https://www.prisonstudies.org/
country/algeria. Consulté le 22 oct. 2025. Prison Studies
-Fair, H., et al. 2024. World Prison Population List, 14th ed. Londres : ICPR. https://
www.prisonstudies.org/sites/default/ fi les/resources/downloads/
world_prison_population_list_14th_edition.pdf. Consulté le 22 oct. 2025. Prison Studies
-Death Penalty Information Center (DPIC). s.d. « Innocence ». https://deathpenaltyinfo.org/policy-
issues/policy/innocence. Consulté le 22 oct. 2025. (Voir aussi : « Innocence Database » https://deathpenaltyinfo.org/facts-and-research/data/innocence). Death Penalty Information Center+1
-Prison Insider. 2024. « Algeria: prisons in 2024 ». https://www.prison-insider.com/en/
countryprofile/algerie-2024-65e05d8471a73. Consulté le 22 oct. 2025. Prison Insider
Droit interne (Algérie)
-Constitution de la République algérienne démocratique et populaire. Révision du 1er novembre Texte consolidé (version anglaise/française) sur Constitute Project : https://
www.constituteproject.org/constitution/Algeria_2020. Consulté le 22 oct. 2025. Constitute
Project+1
-Code pénal algérien (dispositions relatives à la peine capitale). Références synthétisées dans :
ECPM, La peine de mort en droit et en pratique – Algérie (supra).
Droit international et normes onusiennes
-Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). 1966. Art. 6 (Droit à la vie).
Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (OHCHR) : https://www.ohchr.org/en/
instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights. Consulté le
22 oct. 2025. HCDH
-Comité des droits de l’homme (ONU). 2018. Observation générale n° 36 : art. 6 (droit à la vie),
CCPR/C/GC/36. PDF ONU : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g19/261/15/pdf/
g1926115.pdf ; OHCHR : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/HRBodies/CCPR/
CCPR_C_GC_36.pdf. Consulté le 22 oct. 2025. Système de Documents Officiels – ONU+1
-Conseil économique et social (ECOSOC). 1984. Résolution 1984/50, Safeguards guaranteeing
protection of the rights of those facing the death penalty (Sauvegardes garantissant la protection des
droits des personnes passibles de la peine de mort). PDF UNODC : https://www.unodc.org/
documents/commissions/CCPCJ/Crime_Resolutions/1980-1989/1984/
-ECOSOC_Resolution_1984-50.pdf ; OHCHR : https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/
instruments/safeguards-guaranteeing-protection-rights-those-facing-death. Consulté le 22 oct. 2025.
unodc.org+1
-Assemblée générale des Nations unies. 2024. Résolution A/RES/79/179, Moratorium on the use of
the death penalty (10e résolution). Page ODS : https://docs.un.org/en/A/RES/79/179. Consulté le 22
oct. 2025.
(Contexte et résultats de vote : Amnesty, 18 déc. 2024, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2024/12/global-un-member-states-move-closer-to-rejecting-death-penalty-as-lawful-punishment-under-international-law/ ; Coalition mondiale, 20 déc. 2024, https://worldcoalition.org/2024/12/20/two-thirds-of-the-united-nations-general-assembly-vote-in-favor-of-the-10th-resolution-for-a-moratorium-on-the-death-penalty/). Docs UN+2Amnesty International+2
-Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). 2024. Résolution 614,
Biannual vote calling for a moratorium on the use of the death penalty. https://achpr.au.int/en/
adopted-resolutions/614-biannual-vote-calling-moratorium-use-death-penalty. Consulté le 22 oct.2025
Commission africaine des droits de l’homme Presse et actualités (Algérie)
-El Khabar. 2025. « L’État a-t-il décidé du rétablissement de la peine de mort ? Les déclarations du
président de la Cour de Béjaïa ont provoqué des interrogations. » https://www.elkhabar.com/fr/
nation/l-etat-a-t-il-decide-du-retablissement-de-la-peine-de-mort-261241. Consulté le 22 oct. 2025.
El Khabar
-TSA -Tout sur l’Algérie. 2025. « L’Algérie va rétablir “bientôt” la peine de mort ». https://
www.tsa-algerie.com/lalgerie-va-retablir-bientot-la-peine-de-mort/. Consulté le 22 oct. 2025. TSA
-APS – Algérie Presse Service. 2025. « Découverte du corps sans vie de l’enfant disparu à Chlef :
- ouverture d’une enquête ». https://www.aps.dz/fr/algerie/societe/mgo591sl-decouverte-du-corps-
- sans-vie-de-l-enfant-disparu-a-chlef-ouverture-d-une-enquete-sur-l-affaire. Consulté le 22 oct.2025
APS-Algérie360. 2025. « Peine de mort en Algérie : que faut-il comprendre des propos du président de la Cour de Béjaïa ? » https://www.algerie360.com/peine-de-mort-en-algerie-que-faut-il-
comprendre-des-propos-du-president-de-la-cour-de-bejaia/. Consulté le 22 oct. 2025.