Riposte Internationale

Le double anniversaire du 20 avril, expulsion de Farid Allilat, voici le billet de Karim Tabbou

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J’ai accompli ce matin l’obligation de signature sur le registre de mon contrôle judiciaire. Je profite de ce rendez-vous « judiciaire » pour écrire un billet hebdomadaire sur les questions politiques d’actualité et tenter ainsi de tracer leurs contours pour mieux les décrypter.

Cette semaine est marquée par deux dates phares qui rappellent ce long combat de plusieurs générations en faveur de la réhabilitation entière de notre identité Amazigh et de l’avènement de la démocratie dans notre pays. Le double anniversaire du printemps berbère de 1980 et le printemps noir de 2001 dans leur effet miroir, nous rappellent individuellement et collectivement nos obligations morales et politiques envers toutes celles et tous ceux qui ont payé de leur sang ce noble combat.

Et bien au-delà des folklores et de toutes ces évocations festives et culturalistes, ces deux événements majeurs ont marqué l’histoire politique de notre pays et du combat démocratique. La cohérence historique entre ces deux événements majeurs est que de génération en génération, des combats politiques et citoyens ont été menés, des sacrifices énormes ont été consentis afin de libérer le pays des mains des rentiers-bureaucrates et le soustraire de leur endoctrinement idéologique, de la théocratie et des mensonges. Il s’agissait également et en cohérence avec les promesses de la plateforme de la Soummam de propulser notre pays au rang de l’indépendance véritable, de la modernité, de la démocratie et de la citoyenneté.

Sur un autre plan, ces deux évènements ont démontré la nature violente du pouvoir qui n’a pas lésiné sur les moyens de propagande pour tenter de jeter de l’anathème et le discrédit sur ces mouvements. L’évidence est que le printemps noir de 2001 a laissé des meurtrissures incurables, 128 jeunes sont tués de sang-froid dans des conditions horribles, la plus parts des victimes sont des jeunes à fleur d’âge abattus à distance à coup de balles explosives par des snipers en uniforme officiel.

Bien que ces évènements nous ont laissé un énorme capital politique, les sacrifices de tous ces jeunes morts en martyrs de la démocratie, nous ont légué une dette morale et politique que nous devons honorer : Poursuivre le combat pour la DEMOCRATIE.

Précisément sur cet épisode meurtrier de 2001 et malgré les mensonges contenus dans les arrangements conclus entre le pouvoir et ses propres serviteurs fantoches et illégitimes qui ont, toute honte bue, accepté de troquer le combat de toute une génération contre des intérêts bassement matériels; le pouvoir doit rendre compte de ses actes, condition inévitable pour mettre fin au déni et à cette abjecte impunité qui a assuré jusque-là tranquillité aux commanditaires de ces crimes.

Cette semaine a été marquée également par cette grave et inadmissible déclaration du ministre de la communication M. Laagab Mohamed à propos du journaliste Algérien Farid Alilat, refoulé depuis l’aéroport d’Alger et interdit d’entrée dans son pays. Le ministre explique en disant en substance que « L’interdiction d’entrée de Farid Alilat, qui est notre frère, n’est pas liée à sa qualité de citoyen algérien, mais concerne le média où il exerce, Jeune Afrique, qui a pris des positions inamicales du point de vue professionnel envers l’Algérie ».

Quelle absurdité ?

Ce propos en plus de son caractère scandaleux, il constitue une injure à notre citoyenneté et un outrage caractérisé à notre nationalité d’Algérien. Un ministre qui justifie le fait de refouler un journaliste citoyen algérien à cause des positions « inamicales » de son journal employeur doit réapprendre le rudimentaire du politique et du Droit.

La valeur juridique et constitutionnelle de la jouissance de la citoyenneté algérienne est plus importante qu’une raison administrative ou professionnelle.

Monsieur le ministre, vous devriez savoir que ceci relève de l’éthique de responsabilité !

Ces écarts de propos sont courants chez certains hauts responsables. Il y a quelques années un autre ministre assène publiquement que Ceux qui ne se plaisent pas dans ce pays qu’ils partent ailleurs » !

Toutes ces déclarations scandaleuses sont un manque de respect flagrant qui montre cette triste réalité de délitement moral dont souffre l’Etat et ses institutions.

Du déjà vu au temps colonial

A l’époque déjà, en 1957 dans le cadre de la loi martiale visant à briser la base du Front de Libération Nationale en lutte armée pour l’indépendance, le Général Massu a ordonné de refouler une équipe de reporters anglais, venue s’informer de la situation dans notre pays, en les qualifiant de colporteurs de fausses informations sur les évènements d’Alger.

L’évènement n’est pas nouveau et l’attitude est bien connue !

Le propos est officiel, il est stupide et renseigne sur le niveau politique de certains de nos dirigeants qui, pris par les vertiges et les conforts de leurs fonctions, se considèrent au-dessus des lois, des Algériens et de l’humanité toute entière !

Il n’est pas inutile de rappeler à Monsieur le ministre que la citoyenneté algérienne, même s’elle demeure brimée et soumise à la tyrannie de tous ces potentats incultes, est le fruit d’une haute lutte de libération et de sacrifices colossaux et de millions de martyrs.

Monsieur le ministre doit comprendre que le fait de jouir de la nationalité algérienne est un honneur et non une faveur administrative.

Un citoyen Algérien qui jouit pleinement de sa citoyenneté ne doit en aucune manière subir un tel traitement ?

Au lieu de demander pardon à ce citoyen victime de cet abus ainsi qu’aux millions de martyrs qui se sont sacrifiés pour l’indépendance de notre pays, monsieur le ministre s’enfonce dans l’absurdité et la langue de bois !

Au-delà de la personne du journaliste objet de cette mesure, au demeurant libre d’agir selon ses convenances administratives, un ministre se doit de respecter la loi et doit s’astreindre à sa seule compétence légale.

Une loi, c’est une lettre et c’est un esprit Monsieur le ministre !

Inlassablement, chaque jour qui passe ne fait que renforcer la conviction en nous, que pour mettre fin à l’ère de la bêtise et pour espérer se dégager du sous-développement mental qui bloque notre émancipation politique, économique culturelle et sociale, il va falloir retrousser ses manches et engager pacifiquement ces combats décisifs, des combats rudes et durables.

En Algérie, deux Algéries

Gloire à nos martyrs

Pensées particulières aux martyrs du printemps noir.

Mon soutien indéfectible aux détenus d’opinion et à leurs familles.

Karim Tabbou

Alger, le 22 avril 2024