Tunisie : un régime toujours plus répressif
Des atteintes croissantes à la liberté d’expression
et à toute activité politique
Force est de constater que le Président Kaïs Saïed opère sur deux fronts : d’une part, il instrumentalise la justice pour mieux éliminer ses opposants politiques en trafiquant la réalité, les accabler, sur la base d’accusations graves, de comploter contre lui. Des accusations montées de toutes pièces à la mise en scène souvent grossière. Avoir la mainmise sur la justice lui permet d’emprisonner ses détracteurs pendant des mois, voire des années, sans que ceux-ci n’aient droit à un procès. D’autre part, le Président abuse également de son autorité pour empêcher toute pensée indépendante et toute forme de liberté d’expression et de travail créatif. Sous sa férule, une simple fresque critiquant des positions présidentielles antérieures devient un crime grave.
Les faits remontent à juillet dernier quand Rached Tamboura, jeune étudiant au Centre national de la calligraphie de Tunis, a été arrêté pour avoir peint une fresque qui dénonçait la position raciste du Président vis-à-vis des migrants subsahariens, une position critiquée également par nombre d’instances luttant contre le racisme. Rached se retrouve accusé d’offense contre le chef de l’État et de diffamation en vertu de l’article 67 du code de procédure pénale. Dans un premier temps, le Tribunal de Première instance le condamne à deux ans de prison… verdict qui sera ensuite confirmé par la Cour d’appel.
Il en va de même de nombre de personnalités dont beaucoup sont aujourd’hui emprisonnées. Tout espoir de libération se perd dans des labyrinthes sans fin au moyen d’affaires fabriquées visant à les faire taire une bonne fois pour toutes.
Les chefs d’accusation retenus contre Madame Abir Moussi, détenue depuis octobre dernier, sont des plus graves : tentative de porter atteinte au président de la République. Quand le doyen des juges d’instruction a enfin décidé de la renvoyer devant la Chambre correctionnelle du Tribunal de Première instance de Tunis, décision qui implique une réduction de la peine encourue, voire sa libération, une nouvelle instruction basée sur le décret 54 est tombée. Ce fameux décret est utilisé par les autorités pour porter atteinte à la liberté d’expression et à la démocratie telle une épée de Damoclès brandie sur la tête de quiconque ose exercer son droit à s’exprimer.
Rached Ghannouchi, chef du mouvement Ennahdha, se trouve également dans le collimateur : la Chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de corruption près le Tribunal de Première instance de Tunis l’a condamné à trois ans de prison, avec effet immédiat pour recel de financements étrangers. Pour rappel, il s’agit du second jugement prononcé contre R. Ghannouchi. Celui-ci est actuellement en prison sur la base d’un jugement rendu en mai 2023 pour incitation à des troubles contre la sécurité de l’État à la suite d’une plainte déposée par un des syndicats des services de sécurité.
En résumé, il est clair que les récents procès sont un outil permettant à Kaïs Saïed de consolider son projet autoritaire. En d’autres termes, plus il renforce sa mainmise sur le pouvoir, plus il enracine son projet, à mesure que la date des élections présidentielles approche, et ce en dépit du fiasco qu’ont constitué toutes les précédents scrutins organisés depuis le 25 juillet 2021, qui se caractérisent par un taux de participation ne dépassant pas les 12 %, soit un échec cuisant du caractère « populaire » du projet politique prêché par le chef de l’Etat.
Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT) qui n’a cessé de dénoncer toutes les violations et les dépassements du régime tunisien :
– exige la libération du jeune Rached Tamboura, de Abir Moussi et de Rachid Ghannouchi, ainsi que de tous les prisonniers politiques, et appelle à la tenue de procès équitables offrant les garanties juridiques de rigueur et respectant l’indépendance de la justice ;
– exprime sa volonté de respecter la liberté d’expression et le droit de toutes les forces politiques, sans exclusive d’exercer une pratique politique pacifique ;
– considère que tous les procès à caractère politique et ceux ciblant la liberté d’expression qui ont eu lieu ces dernières années, dans un tel contexte de personnalisation du pouvoir constituent un manquement aux fondements même d’un procès équitable en raison des ingérences incessantes dans le système judiciaire et de la menace quotidienne de révocation qui pèse sur les juges. En effet, la plupart des structures élues par ces derniers ont été attaquées et nombreux d’entre eux ont été révoqués ;
– appelle, une fois de plus, toutes les forces politiques et civiles à surmonter leurs divergences et à s’unir et à coopérer pour que la démocratie reprenne droit de cité ;
– lance également un appel urgent aux forces éprises de démocratie et de liberté dans la région, et à l’échelle internationale, pour qu’elles soient attentives au danger qui menace la démocratie en Tunisie, source d’une désertification politique complète et prélude à la perpétuation d’un régime autoritaire pour des années voire des décennies. Un danger qui menace non seulement la Tunisie mais également toute la région.
Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
5 février 2024