En Algérie, les interdictions de sorties du territoire deviennent un outil de répression politique

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Au fil des dernières années, les autorités algériennes ont multiplié les interdictions de sortie du territoire national (ISTN), transformant ce qui devait être une mesure judiciaire exceptionnelle en un instrument de contrôle politique. C’est ce que révèle le rapport « Algérie : les interdictions de sortie du territoire national – Un outil de répression massif aux mains des autorités », publié par MENA Rights Group en octobre 2025. Ce document de plus de quarante pages expose une pratique devenue systématique, visant à restreindre la liberté de circulation des personnes perçues comme critiques du pouvoir, notamment dans le sillage du mouvement pro-démocratie Hirak.

« Au cours des dernières années, les autorités algériennes ont fortement intensifié l’utilisation des Interdictions de sortie du territoire national (ISTN) comme instrument de contrôle politique et moyen de répression, notamment dans le contexte de la répression du mouvement pro-démocratie Hirak. Cette tendance alarmante traduit une politique délibérée visant à restreindre la liberté de circulation des personnes perçues comme critiques. »

L’extrait résume la portée du rapport : derrière le cadre légal, se cache une mécanique arbitraire. Si la Constitution algérienne garantit le droit de circuler librement et de quitter le pays, le Code de procédure pénale, révisé en 2025, confère au procureur de la République le pouvoir d’imposer une interdiction de sortie sans contrôle judiciaire effectif. Le texte ne prévoit ni procédure contradictoire ni limitation claire dans le temps, et permet un renouvellement illimité lorsqu’il s’agit d’infractions liées au « terrorisme », à la « corruption » ou à « l’atteinte à la sûreté de l’État ».

Cette dernière notion, volontairement floue, ouvre la voie à une interprétation politique du droit pénal. L’article 87 bis du Code pénal, qui définit le terrorisme, englobe désormais tout acte visant à « changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ». Pour MENA Rights Group, une telle formulation permet d’assimiler l’expression pacifique d’une opinion dissidente à une menace contre la sécurité nationale.

Les témoignages recueillis sont accablants : militants, journalistes, avocats ou simples citoyens découvrent qu’ils sont sous ISTN au moment de franchir une frontière. Aucun avis préalable, aucun document officiel, parfois la confiscation du passeport, et toujours la même réponse : « cela vient d’en haut ». Le rapport cite des cas où des personnes, même après la fin de leur contrôle judiciaire ou après avoir purgé leur peine, restent interdites de voyager. Une situation kafkaïenne qui rend tout recours pratiquement impossible.

Le Conseil d’État algérien avait pourtant reconnu dès 2014 le caractère illégal d’une ISTN imposée sans notification, mais cette jurisprudence demeure isolée. En l’absence de contrôle juridictionnel indépendant, la mesure est devenue un outil de pression politique. L’organisation y voit un signe du rétrécissement de l’espace civique et de la normalisation de l’arbitraire administratif.

Le rapport se conclut sur une série de recommandations adressées aux autorités algériennes : rétablir un véritable encadrement judiciaire des interdictions de sortie du territoire, garantir leur notification et un droit de recours effectif, et aligner la législation nationale sur les standards internationaux en matière de droits humains.

Derrière la technicité juridique, c’est une réalité humaine que met à nu « Algérie : les interdictions de sortie du territoire national » : celle d’un pays où le simple fait de voyager peut devenir un acte politique, et où la frontière cesse d’être une ligne géographique pour devenir un instrument de contrôle du silence.

source : Algérie : Les interdictions de sortie du territoire national | MENA Rights Group

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