Riposte Internationale

Hirak/Tanekra : réflexions sur une dissidence citoyenne

Ait Djoudi

Dans l’ouvrage collectif « Dissidence populaire, regards croisés », publié par Riposte Internationale, les auteurs analysent le mouvement citoyen Hirak qui s’est déclenché en 2019 en Algérie. Dans cette introduction, le président de Riposte Internationale, Ali Ait Djoudi explique les grandes lignes de cet ouvrage, qui propose une réflexion sur une dissidence et résistance citoyenne.

Quoique l’on pense, la dissidence citoyenne, appelé le Hirak/Tanekra, demeurera un événement majeur tant sur le plan politique que sociétal. Il restera gravé dans la mémoire des Algériens comme un moment de bascule de l’histoire qui donnera, à coup sûr, une suite à d’autres dissidences. Nous en sommes convaincus. Ce mouvement de dissidence citoyenne a porté et continue de porter l’espoir de luttes pacifiques avec, pour horizon, une démocratie réelle. Quelque chose de nouveau est né des entrailles du peuple en février 2019. Il a nourri d’indicibles espoirs avant que le régime ne reprenne la main. Des regrets ? Un échec ? Sommes-nous donc passés à côté d’un changement qu’on a cru proche et à notre portée ? A-t-on manqué de clairvoyance face à un pouvoir qui s’est vite réorganisé pour annihiler la dissidence ? Des questions dont on ne peut faire l’économie.

Parmi les questions légitimes que nos concitoyennes et concitoyens nous posaient lors de nos différentes rencontres : le Hirak est-il spontané ? Est-il orienté ? Avons-nous été manipulés ? C’est dire toute la méfiance développée par les Algériens vis-à-vis du pouvoir. Connaissant les manoeuvres du pouvoir, ce sont là des interrogations qui reviennent après chaque soulèvement, à l’image des manifestations d’octobre 1988. Seul le temps, un regard critique et le nécessaire recul répondront à ces interrogations. Après la marche du 16 février 2019 de Kherrata (wilaya de Sétif), la communauté algérienne à Paris a pris ses responsabilités, dimanche 17 février, lors d’un grand rassemblement qui a eu lieu à la place de la République. Son objectif était de donner plus d’écho à l’action menée dans cette ville de l’est algérien. Ce jour-là, une communion avait vu le jour entre les Algériens de l’intérieur et ceux de l’extérieur. C’était nouveau et prometteur.

Le succès des manifestations du vendredi 22 février 2019 dans les quatre coins de l’Algérie a donné de l’énergie, de la motivation et de la détermination à la diaspora d’aller plus loin dans ses revendications et ses actions organisées sous l’égide d’appellation Hirak/Tanekra. L’Algérie espérait des lendemains meilleurs. Des collectifs se sont vite constitués pour coordonner les actions du Hirak/Tanekra à Paris, ailleurs en France, en Europe et au Canada. Tous les week-ends, des Algériennes et Algériens se retrouvaient à Paris et dans plusieurs capitales du monde pour exprimer leur révolte contre le système au pouvoir en Algérie. La puissante mobilisation citoyenne en France, comme en Algérie, en disait long sur le désir de changement.

Malgré nos différences, nous avions toujours réussi à dépasser les malentendus. Toutes les voix s’exprimaient dans l’agora. L’action se faisait dans l’unité. Un consensus se dégageait pour les slogans et les thématiques des rassemblements du dimanche, des marches grandioses ont été organisées dans les rues de Paris. Elles drainaient, à chaque fois, entre 30 et 50 000 manifestants dans une ambiance empreinte de fraternité. Nous avons été marqués par ces familles qui effectuaient des déplacements de 500 à 1000 km pour participer à ces marches et rassemblements. C’est dire l’espoir suscité par la mobilisation.

Notre organisation, Riposte internationale, avait participé avec énergie et détermination, comme la grande manifestation organisée à travers les rues de Bruxelles en direction du Parlement européen. Il s’en est suivi plusieurs rassemblements, sit-in devant la représentation diplomatique algérienne, devant le Parlement français, à Genève devant le Haut-Commissariat des droits humains.

Une communion était devenue réalité entre les Algériens de France pour la première fois depuis l’indépendance. Avec les semaines qui passaient, les arrestations se sont intensifiées cependant. Le régime s’était entre-temps recomposé, écartant les branches « mortes » pour donner l’illusion d’un changement. Il y allait de sa survie. La restauration autoritaire était en marche.

Sourd aux revendications du peuple, le pouvoir fait le choix du tout répressif et la manipulation de l’opinion, l’instrumentalisation de la justice a fait des juges les bouches de la nuit, pour reprendre l’expression de Jean-Jacques Rousseau. Il est pour nous manifeste que l’option du changement n’a jamais tenté le pouvoir. Elle est, en revanche, pleinement assumée par la société.

La parole à la dissidence

Avant de céder la parole au temps et à l’histoire, nous avons d’abord préféré donner la parole à nos militantes et militants, à nos intellectuels, à nos ex-détenu.e.s d’opinion pour recueillir leurs sentiments, leurs analyses et constats, mais surtout pour certaines et certains leurs vécu et expérience. Il était important que nous fassions ce travail d’écriture avec des acteurs de la dissidence.

Je remercie ici ceux qui ont accepté de contribuer à cet ouvrage collectif, malgré leurs contraintes professionnelles, les intimidations, voire la violence d’un pouvoir aveuglé par sa haine de tout ce qui n’émane pas de lui. Cet ouvrage est un hommage à un peuple, à une jeunesse, à des femmes et des hommes qui refusent la soumission, l’injustice et qui refusent la résignation face à la dictature en place.

Aujourd’hui, refuser la résignation face à l’arbitraire, porter la voix des sans voix, témoigner et dénoncer relèvent de la résistance. L’Algérie est devenue une prison à ciel ouvert, un laboratoire d’expérimentation des techniques de domestication des peuples et de verrouillage total de la société. L’ouvrage que vous avez entre les mains le montre clairement. L’Algérie réelle est en marche parce que justement ce pays est une promesse faite sur les sépultures des martyrs de l’indépendance. Ne l’oublions pas.

Ali Aït Djoudi,

Président de Riposte Internationale