Riposte Internationale

 Cinq ans après le Hirak, quelques mois avant les élections présidentielles (Contribution)

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Par Abdelouahab Fersaoui

Cinq ans après le Hirak et à quelques mois des élections présidentielles prévues en décembre 2024, l’Algérie continue à vivre une situation d’asphyxie et de paralysie politique. On est à une époque, un moment où le politique est en pleine régression, aucun débat sérieux, libre et contradictoire autour de la situation que vit le pays et de cette échéance importante. Le pouvoir en place a tout verrouillé, politiquement et médiatiquement. De son côté la classe politique déjà affaiblie et effritée manque d’initiative, il semble qu’une partie d’elle est dans l’attente des signaux venant du sommet du pouvoir décisionnel pour se positionner. 

La situation n’a pas changé malgré le mouvement populaire pacifique « Hirak » qui a suscité une lueur d’espoir dans la société pour un véritable changement démocratique et pacifique du système de gouvernance. Au contraire, cinq ans après le début du Hirak « Béni », la situation s’aggrave de plus en plus. Le pouvoir est dans la même logique qui consiste à maintenir le même régime à tout prix, à travers la répression sous toutes ses formes pour faire taire toute voix libre et discordante, instrumentalisant l’appareil sécuritaire et judiciaire. Les acquis démocratiques remis en cause, le champ politique et l’espace public fermés, les médias publics et privés verrouillés et les élections vidées de leurs sens et substances, elles sont destinées à la consommation nationale et internationale en se dotant d’une façade démocratique sans pratique.

Diagnostique alarmant

Le système cherche toujours à se pérenniser avec M.Abdelmadjid Tebboune ou avec quelqu’un d’autre. Pour cela,  il y a risque malheureusement à ce que le débat national soit une autre fois bipolarisé, cette fois-ci, sur la candidature où non de l’actuel chef d’Etat, alors la seule question qu’il faut se poser est la suivante : « n’est il pas temps de donner son premier mandat au peuple algérien après tant de gâchis ? ».

Contrairement aux conjonctures passées, cette fois-ci les tenants du pouvoir d’aujourd’hui n’arrivent plus à mobiliser une partie du peuple autour de leur politique et de leur agenda et ce malgré la répression du Hirak et la manne financière issue des exportations des hydrocarbures ainsi que les campagnes de propagande et la sur-médiatisation des prétendues réformes, réalisations et progrès réalisés dans « l’Algérie nouvelle » qui ne sont finalement pas loin de l’ancienne. Au contraire, le fossé entre les gouvernés et les gouvernants s’élargit de plus en plus, la situation politique, économique et sociale du pays est très inquiétante, sans oublier les atteintes successives aux libertés démocratiques, les violations des droits humains et les centaines de détenus d’opinions qui croupissent encore dans les prisons pour leurs opinions et engagement politique et citoyen. Sur le plan international et diplomatique, l’Algérie s’isole de plus en plus. Une réalité qu’on ne peut désormais plus cacher et qui dément ce récit que le pouvoir tente de vendre, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Ajoutons à cela le contexte géopolitique international, instable et mouvant où un nouvel ordre mondial se dessine. Si ce contexte bénéficie pour le moment aux régimes non démocratiques, à moyen et à long terme, seuls les pays forts, stables et immunisés de l’intérieur par la démocratisation réelle pourront résister et tirer profil des changements intervenus. Par contre les pays sous développés et autoritaires qui souffrent d’un déficit démocratique subiront les conséquences néfastes de cette mutation mondiale, et pourraient potentiellement abriter de nouveaux foyers de tensions sources d’instabilité  politique, d’insécurité et de sous-développement chroniques.

C’est pour cela que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui sont plus que jamais appelés à mettre terme à leur entêtement, à cette fuite en-avant et au replâtrage politique, car le système de gouvernance actuel n’est pas réformable. Le système est en crise, il a atteint ses limites et ne peut produire de solution ni pour lui, ni pour l’Algérie en matière de démocratie, de développement économique et de prospérité sociale. Son entêtement ne peut que faire perdre plus de temps et nuire davantage.

Notre société est en pleine mutation ayant un regard vers l’avenir et la modernité. Elle est éveillée politiquement, consciente des enjeux nationaux et internationaux. Elle refuse cette politique du fait accompli et elle est en rupture avec les anciens réflexes et pratiques du régime. Un nouvel horizon démocratique réel est une nécessité historique pour sauver de l’effondrement l’Algérie en tant qu’Etat-national.

Que peut-on faire ?

Donc il faut agir politiquement et lucidement en se basant sur les aspirations démocratiques exprimées avec force et clarté par des millions d’algériens-es qui battaient le pavé dans les rues au niveau national  et dans les capitales du monde des années durant. Le peuple peut être mobilisé politiquement s’il y a une offre politique sérieuse de la part de l’élite politique démocratique, suivie d’une volonté politique  pour le changement de la part du pouvoir.

Pour cela, je considère que les prochaines élections présidentielles de 2024 sont très importantes, même déterminantes pour l’avenir de l’Algérie. Vouloir organiser des élections fermées pour reconduire l’actuel chef de l’Etat M. Abdelmadjid Tebboune ou un autre, sans ouverture démocratique réelle, sans caution populaire, sans garantir au préalable les règles du suffrage universel et sans réhabiliter le politique, est un suicide politique et une aventure chimérique qui mènera le pays droit dans le mur.

Cette échéance électorale est une autre opportunité à ne pas rater. Il faut amorcer un véritable processus du changement démocratique, pacifique, apaisé et négocié du système  actuel avec la participation de toutes les forces démocratiques pour aller vers un régime réellement démocratique, seul rempart aux menaces et seule alternative valable. Cela exige des mesures urgentes à savoir la libération immédiate de tous les détenus d’opinion et politiques et leur réhabilitation ; la cessation et l’annulation de toutes les poursuites judiciaires contre les militant.e.s, les hirakistes, les journalistes, les partis politiques et les associations ; l’abrogation de toutes les lois liberticides et la suppression de toutes les entraves liées à l’exercice effective des libertés fondamentales, notamment les libertés d’expression, de réunion, de rassemblement, d’organisation, d’association et de presse ; l’ouverture effective du champ politique et médiatique ; révision de la composante et des prérogatives de l’Autorité nationale indépendante des élections « ANIE » en garantissant son indépendance et son autonomie.

Mettre l’Algérie sur les rails de la démocratie, du développement et du progrès économique et social, ne peut être l’œuvre d’un homme providentiel, ni d’une seule partie ou institution même s’ils sont patriotes et animés de bonne volonté. Il s’agit d’un processus complexe qui demande du temps, de la volonté politique et la participation citoyenne de toutes les forces vives et démocratiques. Ces élections peuvent être un POINT DE DÉPART DE CE PROCESSUS HISTORIQUE qui doit être inscrit dans la durée.

De son côté, la classe et l’élite politique qui englobe à la fois les partis politiques de l’opposition démocratique, des associations et syndicats autonomes qui résistent encore, personnalités politiques crédibles, journalistes, avocats et intellectuels libres doivent tirer les enseignements des expériences précédentes pour éviter de reproduire les mêmes échecs.

Dans toutes les expériences du monde, les régimes autoritaires ne cèdent que quand il y a un rapport de force politique et pacifique bien organisé porteur d’une véritable alternative et offre politique sérieuse et rassurante à la fois pour le peuple en quête de liberté et de dignité, et pour le pouvoir en place. Le rapport de force dans la rue est insuffisant s’il n’est pas appuyé par un autre rapport de force politique qui traduit politiquement les aspirations populaires.

Le Hirak est un exemple frappant ; nous avons vécu un rapport de force inédit dans la rue qui a duré des années mais non accompagné par un prolongement politique. Le résultat est visible aujourd’hui avec la remise en cause des acquis démocratiques arrachés par des luttes précédentes ???!!!… Oui, il est temps de renverser la donne  en créant un rapport de force politique qui peut mobiliser politiquement le peuple.

Les prochaines élections présidentielles de 2024 peuvent être une opportunité et un nouveau levier de mobilisation politique active. Pour cela, la classe politique  déjà affaiblie, est appelée à se décomplexer, à discuter et à dialoguer pour créer des synergies et agir ensemble en prévision de cette échéance électorale. Il faut éviter les négociations individuelles et la compétition séparée et égoïste derrière des positionnements au sein du pouvoir qui puise sa force de nos division et discordes. De même, il ne faut plus rester dans la réaction, le radicalisme stérile, le constat rituel et la dénonciation récurrente, sans vision ni stratégie d’avenir. Ces attitudes  sont souvent passives et non productives.

De mon point de vue, on ne doit pas accepter dés maintenant, sans ouvrir un débat libre, contradictoire et respectueux des uns envers les autres, les théories de « Boycott » et du « rejet des élections », en les qualifiant de « non événement » et en disant que « c’est joué d’avance, le président est déjà connu »,… Ces positions étaient logiques et raisonnables dans le passé et sont toujours d’actualité, mais aussi il faut dire qu’elles arrangent le pouvoir en place car elles maintiennent la majorité qui n’est pas avec le pouvoir dans une situation de « hors-jeux », donc passive. Le pouvoir continuera à imposer son candidat, ses élections et sa politique tant qu’il le pourra. C’est la nature de tout régime qui ne puise pas sa légitimité de la souveraineté populaire.

Cinq ans après le Hirak et à quelque mois des élections présidentielles, il est important que la classe politique envoie un signe  d’espoir. Un front, le plus large possible, peut être constitué autour de ce rendez-vous électoral, non pour soutenir l’agenda du pouvoir ou pour rejeter en bloc ces élections. Ce front aura pour objectif premier d’ouvrir un vrai débat autour de ces élections et de voir l’opportunité de participer à ce scrutin en exigeant en premier lieu les préalables pour une vie politique normale et les conditions du suffrage universel qui sont aussi des mesures d’apaisement.

La suite sera décidée sur la base de l’attitude du pouvoir en place où l’opinion publique nationale et internationale seront prises comme témoins. Si la réponse est relativement favorable, le front peut encore travailler pour une stratégie électorale collective. Si le pouvoir tourne une autre fois le dos, la décision du rejet et du boycott « actif » sera légitime et le pouvoir assumera seul les conséquences de son entêtement, qui malheureusement affaiblira davantage les institutions de l’Etat.

En conclusion, je considère que quelle que soit l’attitude du pouvoir en place, une telle démarche politique aura un impact positif dans la société et provoquera un déclic dans la vie politique en Algérie. Au-delà des élections présidentielles, je la considère comme la continuité du Hirak, sous une forme plus politique et plus efficace. 

20 février 2024